Le 20 janvier dernier, le tribunal judiciaire de Paris a rendu une nouvelle décision sur le paiement des loyers commerciaux du premier confinement. Et elle a de quoi surprendre. Pour la première fois, le juge de l'exécution estime que l'impossibilité juridique d'exploiter les lieux loués en raison d'une décision des pouvoirs publics survenue en cours de bail est assimilable à la perte de la chose louée définie à l'article 1722 du Code civil. Le locataire est donc libéré de l'obligation de payer le loyer durant cette période. En l'espèce il s'agissait du 16 mars au 11 mai 2020, c'est-à-dire le premier confinement.
Le fruit de plusieurs batailles judiciaires .
Le locataire, une enseigne non alimentaire présente dans toute l'Europe et disposant de 50 magasins en France fermée administrativement du 16 mars au 11 mai 2020, posait la question suivante : est-ce que le fait de ne pas pouvoir exploiter son commerce en de telles circonstances n'équivaut pas à la destruction de la chose louée ? Plus précisément le loueur s'appuyait sur l'article 1722 du Code civil, l'un des plus anciens du droit de la propriété : « si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances demander ou une diminution du prix, ou la résiliation du même bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a pas lieu à aucun dédommagement ».
Le juge a suivi ce raisonnement et a donc décidé que le locataire ne pouvait pas se voir réclamer le paiement de ses loyers durant la période du premier confinement.
Cette décision est, en réalité, le fruit de plusieurs batailles judiciaires depuis la déclaration de l'état d'urgence sanitaire le 23 mars 2020. L'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 avait ordonné les fermetures administratives de tous les commerces considérés comme non essentiels. Elle décrétait aussi que le défaut de paiement des loyers commerciaux ne pouvait pas être sanctionné. Pour autant, les locataires se demandaient si les bailleurs pouvaient réclamer ou saisir les loyers de cette période alors même que leurs commerces étaient fermés et que leur chiffre d'affaires était nul.
Le 9 juillet 2020, le juge d'exécution du tribunal de Paris a décidé que « la force du principe de créance que le bailleur tire du contrat de bail n'est pas telle qu'elle justifie une mesure conservatoire sans autorisation préalable ». En clair, le bailleur ne peut pas saisir auprès de la banque le montant des loyers du premier confinement sans autorisation du juge, comme il en a normalement le droit s'il possède un titre exécutoire, c'est-à-dire un bail signé devant un notaire. Deux décisions du 26 octobre 2020 rendues par le tribunal judiciaire de Paris vont un peu plus loin en précisant que : « les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaires une adaptation des modalités d'exécution de leurs obligations respectives ». Les bailleurs étaient depuis incités à baisser les loyers.
Pourquoi certaines foncières aident leurs commerces locataires ?
Pas de force majeure, mais un cas fortuit...
Pour autant, la question de l'obligation de payer les loyers du premier confinement était toujours posée. La force majeure ne semblait pas être un argument applicable pour obtenir leur suspension car elle nécessite de la part du locataire de démontrer son impossibilité de payer. Or, les pouvoirs publics ont mis à disposition des commerçants un grand nombre d'aides dont la possibilité d'obtenir un prêt garanti par l'Etat . L'inexécution du contrat ne semblait pas non plus fonctionner dans cette situation puisque ce n'est pas de la faute du bailleur si le contrat n'est pas exécuté.
La décision du 20 janvier 2021 basée sur la destruction de la chose louée pourrait donc être le point de départ d'une jurisprudence importante. Les bailleurs, déjà vivement encouragés à renoncer au loyer du mois de novembre sous couvert d'un crédit d'impôt , vont-ils obtenir une contrepartie s'ils doivent aussi renoncer aux loyers du premier confinement ?
Il ne s'agit pour le moment que d'une décision de première instance, susceptible d'appel, mais la question d'une aide aux bailleurs se pose aussi.
Article relevé dans le Journal Les Echos
Publié le 27 janv. 2021 à 16:00
Par Delphine Iwein s